Mobilité géographique : où en sommes-nous ?

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Dans une société en mutation constante, la mobilité géographique des salariés dans l’entreprise s’est imposée en composante capitale de la relation contractuelle de travail. Le législateur, par la loi de sécurisation de l’emploi du 14 juin 2013,  entend désormais donner la main aux partenaires sociaux, en plaçant l’accord collectif au cœur du dispositif.
Olivier Bach, avocat associé au sein du Cabinet Yramis (Paris – Lyon), spécialiste en droit social, nous apporte un éclairage de la situation.

Le lieu de travail est un élément purement « informatif » du contrat
Il est de jurisprudence constante que  la mention du lieu de travail dans le contrat du salarié a une simple valeur informative, à moins qu’une clause claire et précise ne stipule que le salarié exécutera son travail exclusivement dans ce lieu (Cass. soc. 3 juin 2003 n° 01-40.376 : RJS 8-9/03 n° 980 et Cass. soc. 15 mars 2006 n° 02-46.496 : RJS 6/06 n° 684).

N’étant pas intégré au socle contractuel, le lieu de travail peut par principe être ajusté dans le cadre du pouvoir de direction. A noter l’interrogation qui demeure depuis 10 ans sur le fait que le juge s’arroge le pouvoir de définir, au sein du contrat, ce qui est informatif et ce qui ne l’est pas… Le sacro-saint principe du consensualisme, si cher à nos civilistes, s’en trouve quelque peu bafoué.

Un changement de lieu de travail constitue une modification du contrat uniquement si le nouveau lieu de travail se situe dans un secteur géographique différent (Cass. soc. 3 mai 2006 n° 04-41.880 : RJS 7/06 n° 808). Cette notion n’est pas clairement définie par la Cour de cassation : les juges du fond l’apprécient souverainement et l’aléa judiciaire est fort, ce qui peut générer une insécurité juridique certaine. L’appréciation du périmètre de la zone géographique se fait alors in concreto , en fonction notamment de la desserte en transports et du temps de déplacement entre les deux lieux de travail. Entre Paris et l’île de France, et les départements ruraux, les règles sont très différentes et nécessitent une analyse de la jurisprudence locale, c’est-à-dire une lecture des arrêts de la cour d’appel dans le ressort de laquelle s’inscrit le lieu en question. En toute hypothèse, la situation personnelle du salarié n’entre pas en compte.

Par dérogation toutefois, l’employeur peut valablement affecter temporairement un salarié en dehors de son secteur géographique habituel, à condition que la nouvelle affectation soit motivée par l’intérêt de l’entreprise, justifiée par des circonstances exceptionnelles et que le salarié ait été préalablement informé, dans un délai raisonnable, du caractère temporaire de l’affectation et de sa durée prévisible (Cass. soc. 3 février 2010 n° 08-41.412 : RJS 4/10 n° 312).
Le refus du salarié de voir son lieu de travail ajusté, alors même que l’on se situe dans la zone géographique d’emploi, peut constituer  une cause réelle et sérieuse de licenciement.  
 
La clause de mobilité géographique est encadrée par le juge
L’insertion d’une clause de mobilité dans le contrat du salarié permet de l’affecter en dehors du secteur géographique dans lequel il travaillait, sans avoir à obtenir préalablement quelque accord que ce soit. Sa mise en œuvre répond simplement à l’engagement pris formellement : la force obligatoire du contrat s’impose. Si résistance il y a, le pouvoir disciplinaire peut y répondre. Un licenciement pour faute est envisageable.

La jurisprudence n’admet toutefois la validité d’une telle clause, que si elle définit de façon précise sa zone géographique d’application. Le salarié doit être en mesure de connaître le périmètre et/ou l’étendue de son obligation de mobilité au moment où il consent.

Si la mise en œuvre de la clause entraîne une modification d’un élément « essentiel » du contrat, l’accord du salarié est alors requis. Tel est le cas lorsque la mobilité entraîne une modification de tout ou partie de la rémunération du salarié (par exemple en cas de changement de zone d’affectation commerciale). Est nulle la clause prévoyant la mutation d’un salarié d’une société à l’autre au sein d’un même groupe (Cass. soc. 23 septembre 2009 n°07-44.200 : RJS 12/09 n° 898).

Par ailleurs, la clause de mobilité doit être mise en œuvre loyalement  : la mobilité répond à l’intérêt de l’entreprise. Toutefois, la bonne foi contractuelle étant présumée il appartient au  salarié de prouver que la décision de l’employeur a été prise pour des raisons étrangères à cet intérêt, ce qui reste toujours complexe à démontrer. Ainsi jugé, par exemple,  pour une salariée, mère de 4 enfants, mutée à son retour de congé parental, l’employeur lui ayant proposé le poste, libre depuis plusieurs mois, seulement 3 semaines avant son retour dans l’entreprise (Cass. Soc. 14 octobre 2008 n°07-43.071 : RJS 12/08 n° 1162).

S’il met en œuvre la clause, l’employeur est tenu de respecter un délai de prévenance suffisant. Le non-respect de ce délai légitimerait l’opposition du salarié.
En pratique, il est conseillé de prévoir ce délai formellement et de prendre garde à l’existence de stipulations conventionnelles de branche spécifiques encadrant la mobilité.
A noter que le salarié « protégé  » doit, même en présence d’une clause régulière et opposable, donner son accord à la mutation. Une opposition peut légitimer la mise en œuvre de la procédure spéciale de licenciement, en lien avec l’inspection du travail.

Enfin, et c’est là l’évolution la plus marquante de ces dernières années, le salarié est en droit de refuser la mise en œuvre de la clause lorsqu’elle emporte une atteinte injustifiée et disproportionnée au respect de sa vie personnelle et familiale (Cass. soc. 17 octobre 2012 n° 11-18.029). La Cour de cassation, sous l’influence grandissante du droit européen, pose en principe le respect d’un droit à «  une vie personnelle et familiale » , droit fondamental porté par l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’Homme.
Si l’outil contractuel paraît particulièrement efficace, il a perdu en vigueur sous l’impulsion d’une jurisprudence très protectrice des intérêts du salarié.
 
Accord de mobilité interne : quelles conséquences pratiques pour demain ?
Le régime de la mobilité géographique a été modifié par l’adoption de la loi de sécurisation de l’emploi du 14 juin 2013.  Les entreprises ont désormais la faculté d’engager une négociation portant sur les conditions de la mobilité, notamment géographique, interne à l’entreprise dans le cadre de mesures collectives d’organisation courantes sans projet de réduction des effectifs (C. trav. art. L. 2242-21). L’accord qui pourrait en résulter est soumis à la « seule » majorité d’engagement (signature par une ou plusieurs organisations syndicales, ayant recueilli au moins 30% des suffrages exprimés au premier tour des dernières élections professionnelles), sous réserve de l’exercice d’une opposition.

L’accord de mobilité fixe les limites de la « zone géographique d’emploi » du salarié et détermine celles auxquelles sera soumise la mobilité au-delà de cette zone. Les limites fixées par l’accord collectif pour la mise en œuvre d’une mobilité interne à l’entreprise (le groupe n’est pas concerné), hors zone géographique d’emploi, encadrent alors la clause contractuelle individuelle de mobilité. Si cette dernière n’est pas conforme aux stipulations conventionnelles collectives qui lui sont postérieures, elle sera suspendue dans ses effets, la loi étant très novatrice sur ce point.

L’accord de mobilité interne devra viser à concilier vie professionnelle et vie personnelle et familiale, en prenant en considération les situations liées aux contraintes de handicap et de santé. Il devra intégrer des mesures d’accompagnement à la mobilité (actions de formation, participation de l’employeur à la compensation d’une éventuelle perte de pouvoir d’achat et aux frais de transport, etc.) et être porté à la connaissance de chaque salarié concerné.

Une fois l’accord signé, la mise en œuvre d’une mesure individuelle de mobilité devra recueillir l’accord préalable du salarié, selon la procédure applicable en matière de modification du contrat de travail pour motif économique. En l’absence de réponse du salarié dans le délai d’un mois à compter de la proposition de modification, ce dernier sera réputé avoir accepté la modification. Son refus, le cas échéant, constituera une cause réelle et sérieuse de licenciement individuel pour motif économique. Ainsi, et c’est là peut-être que se situe la fragilité du texte nouveau, la mesure collective de mise en œuvre d’un accord de mobilité interne, confrontée aux refus multiples des salariés concernés, n’entraînera(it) pas la mise en œuvre d’un plan de sauvegarde de l’emploi. La Cour de cassation verra peut-être cela sous un autre angle. En tout état de cause, le comité d’entreprise devrait être consulté dans le cadre de ses attributions générales d’ordre économique.

Les partenaires sociaux sont ainsi aujourd’hui placés en position centrale sur l’échiquier : il leur appartiendra de fixer les règles du jeu. Où la volonté collective l’emporte sur l’individuelle…

 

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Extraits de textes :

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