Rupture brutale de relations commerciales établies – un divorce par consentement mutuel de plus en plus accepté par la jurisprudence !

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La jurisprudence a précisé, dans le cadre du contentieux le plus abondant depuis plusieurs années en matière de pratiques restrictives de concurrence1, le sort des aménagements des conséquences d’une rupture brutale des relations commerciales établies. 

A titre de rappel, l’article L.442-6-I 5° du Code de commerce dispose que :

 

« Engage la responsabilité de son auteur et l’oblige à réparer le préjudice causé, le fait pour tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers (…) 5° - de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis tenant compte de la durée de la relation commerciale (…).»

 

Il s’agit d’une responsabilité d’ordre public dont il n’est pas possible d’y déroger par voie contractuelle.

Toutefois, au terme d’un arrêt en date du 16 décembre 2014 la Chambre commerciale de la Cour de cassation a jugé que si l’article L.442-6-I 5° du Code de commerce institue une responsabilité d’ordre public à laquelle les parties ne peuvent renoncer par anticipation, il ne leur interdit pas de convenir des modalités de la rupture de leur relation commerciale, ou de transiger sur l’indemnisation du préjudice subi par suite de la brutalité de cette rupture.

Dans le cadre de cet arrêt, la société Ikea Supply AG (la société Ikea) a lancé, le 5 janvier 2009, un appel d’offres sur une gamme de produits (canapés et des fauteuils) pour laquelle il s’approvisionnait auprès de son fournisseur, la société Green Sofa Dunkerque (GSD), avec lequel elle travaillait depuis 1993.

Par la suite, les parties se sont rapprochées afin de conclure :

  • le 13 juillet 2009, un protocole d’accord prévoyant l’indemnisation de la société GSD.
  • Ainsi que, le 24 août 2010, un deuxième protocole prévoyant la fin de leur collaboration pour le 31 décembre 2012, assorti d’un engagement d’approvisionnement en diminution progressive.

Le liquidateur de la société GSD, estimant que ces accords n’étaient pas satisfaisants, a assigné la société Ikea en paiement de dommages-intérêts pour rupture brutale d’une relation commerciale établie.

A cet égard, la Cour de cassation a jugé qu’il reste possible de négocier a posteriori les conséquences d’une rupture brutale de contrat. Il ne s’agit aucunement d’une renonciation au bénéfice d’une disposition d’ordre public mais d’un aménagement des conséquences d’une résiliation intervenue.

Par ailleurs, par un arrêt en date du 31 octobre 2018, la cour d’Appel de Paris a jugé que la transaction conclue par les parties afin de régler les conséquences financières de la rupture n’était pas affectée du vice de violence lorsque la dépendance alléguée par le distributeur, qui peut distribuer des produits non-concurrents, était volontaire, qu’il était assisté par son avocat et que le protocole comportait des concessions réciproques.

Dans le cadre de cet arrêt, la société Sisely souhaitait mettre un terme à sa relation commerciale établie avec la société Meala, avec laquelle elle travaillait depuis 18 ans.

Après plusieurs mois de négociation, les parties ont conclu le 27 novembre 2007 un protocole transactionnel dans le cadre duquel la société Sisley avait consenti à la société Meala un préavis de 10 mois et demi ainsi qu’un versement à hauteur de 4.132.000 euros.

La société Meala estimant que le protocole transactionnel était vicié par la violence économique exercée par la société Sisley à son encontre pour la contraindre à contracter, a assigné cette dernière.

La Cour d’Appel de Paris n’a pas suivi la position de la société Meala et a jugé que la société Sisley était en droit de ne pas renouveler le contrat de distribution sous réserve de respecter un préavis suffisant pour permettre à la société Meala de réorganiser son activité et que le protocole signé avait pour objet de régler le litige opposant les parties sur les conditions dans lesquelles devait intervenir le non-renouvellement du contrat.

Enfin, la Cour d’Appel de Paris a estimé la société Meala n’avait pas rapporté la preuve de la violence économique subie par elle.

Dans un contexte où, la majorité des décisions rendues en 20171, suite à des actions mises en œuvre par des acteurs économiques, concerne la rupture brutale d’une relation commerciale établie, les juges ont, de plus en plus, tendance à reconnaître la validité des protocoles transactionnels aménageant les conséquences des ruptures de relations commerciales établies sous réserve que ces accords ne soient pas constitutifs d’un déséquilibre significatif et sous réserve qu’aucune violence économique n’ait été exercée à l’encontre de la victime de la rupture.

Nissrine KASSASE,

Avocate, Présidente du cabinet Legal Peers et intervenante chez Francis Lefebvre Formation

  1. 269 décisions rendues sur la seule année 2017 (232 en 2016) dont 39% des décisions sanctionnent la rupture brutale d’une relation commerciale établie.

 

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