Plateforme en ligne, data mining et contrôle fiscal

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L’article 154 de la loi de finances pour 2020 du 28 décembre 2019 autorise les administrations fiscales et douanières à « collecter et exploiter au moyen de traitements informatisés et automatisés n'utilisant aucun système de reconnaissance faciale les contenus, librement accessibles sur les sites internet des opérateurs de plateforme en ligne [de mise en relation], manifestement rendus publics par leurs utilisateurs. »

Quelles sont les raisons de l’adoption de ce nouveau dispositif « expérimental » ? Les limites posées ? Les prochaines étapes ?

Un nouveau dispositif de data mining au service de la lutte contre la fraude fiscale

Dans l’exposé des motifs de cette disposition, les initiateurs du projet de loi rappelait que : « dans un contexte d’usage de plus en plus massif des outils numériques, il est aisé de réaliser (…) sans respecter ses obligations fiscales ou douanières, une activité économique sur internet (…) grâce aux réseaux sociaux et plateformes de mise en relation par voie électronique » et que face à ces nouvelles pratiques, l’administration était aujourd’hui « largement démunie pour identifier ces fraudeurs, l'exploitation de ces informations ne pouvant être réalisée manuellement qu’à un coût humain disproportionné ».

C’est en partant de ce constat que le gouvernement proposait de légaliser la collecte et l’exploitation en masse des données rendues publiques par les utilisateurs des réseaux sociaux et des plateformes de mise en relation par voie électronique.

La disposition consacrant ce dispositif, adoptée « à titre expérimental » et valable pour une durée de trois ans, devrait ainsi permettre de renforcer l’efficacité du data mining, déjà opéré par l’administration fiscale sur les données directement communiquées à l’administration, à travers le système de ciblage de la fraude et valorisation des requêtes » (CFVR) qui a permis de recouvrer 785 millions d’euros en 2019, contre 324 millions d'euros l’année précédente (+130% en un an).

 

Source : économie.gouv.fr – Bilan 2019 : lutte contre la fraude fiscale et renforcement du civisme fiscal

Un dispositif assorti de garanties face aux inquiétudes qu’il a suscité

Au-delà des économies potentielles permises par ces nouvelles pratiques d’analyse des contenus sur le web, la légalisation de cette mesure a suscitée de nombreuses inquiétudes.

Après un avis critique de la CNIL, qui considérait que l’article tel qu’il était présenté dans le projet de loi constituait « un changement d’échelle significatif » et un « renversement des méthodes de travail des administrations (…) ainsi que des traitements auxquels elles ont recours pour lutter contre la fraude. », susceptible de constituer une « atteinte particulièrement importante au droit au respect de la vie privée et à la protection des données à caractère personnel. », le législateur a pris en compte une partie des consignes proposées par la Commission dans son projet définitif proposé en dernière lecture.

L’article 154 de la loi de finances finalement adopté exclut ainsi la possibilité d’utiliser des systèmes de reconnaissance faciale et prévoit notamment l’obligation d’une étude d’impact préalable aux traitements  ainsi que la parution d’un décret pour « préciser les conditions dans lesquelles la mise en œuvre des traitements mentionnés (…) est, à toutes les étapes de celle-ci, proportionnée aux finalités poursuivies »  et pour préciser en quoi les données conservées sont : « adéquates, pertinentes et, au regard des finalités pour lesquelles elles sont traitées, limitées à ce qui est strictement nécessaire. »

Ce décret de précision, qui devrait être publié dans le courant du mois de mai, pourra ainsi apporter un cadre réglementaire permettant d’assurer que les enjeux de protection des données personnelles des personnes concernées soient au moins pris en compte par l’administration lors du traitement de ces données.

Ces nouveaux encadrements légaux et la promesse de mise en place de nouvelles garanties réglementaires n’ont toutefois pas suffit à pleinement convaincre le Conseil Constitutionnel, qui, saisi pour apprécier de la constitutionnalité de la loi de finances 2020, a rendu une décision le 27 décembre 2019 (CC, 27 décembre 2019, n° 2019-796 DC), dans laquelle il censurait une disposition de cet article qui permettait la collecte et l'exploitation automatisée de données pour la recherche de l’infraction de « défaut ou (…) retard de production d'une déclaration fiscale dans les trente jours suivant la réception d'une mise en demeure ».

Le Conseil jugeait que ce pouvoir donné par la loi n’était pas justifié par un objectif de lutte contre la fraude fiscale, dès lors qu’il avait vocation à s’exercer dans une hypothèse ou l’administration aurait déjà mis en demeure le contribuable de produire sa déclaration, et aurait ainsi « déjà eu connaissance d'une infraction à la loi fiscale, sans avoir besoin de recourir au dispositif automatisé de collecte de données personnelles. »

Cependant, à l’exception de cette disposition isolée, la décision du Conseil Constitutionnel n’a pas remis en cause l’entrée en vigueur de cet article de loi, qui était considéré dans son ensemble comme assorti de « garanties propres à assurer, entre le droit au respect de la vie privée et l'objectif de valeur constitutionnelle de lutte contre la fraude et l'évasion fiscales, une conciliation qui n'est pas déséquilibrée ».

Des précisions et bilans à venir pour contrôler l’application et évaluer l’efficacité des nouvelles méthodes

A l’occasion d’une conférence de presse tenue le 17 février 2020 dans les services du contrôle fiscal de la Direction Générale des Finances Publiques (DGFiP) de Bercy, le ministre de l’Action et des comptes publics, Gérard Darmanin présentait les chiffres liés à la lutte contre la fraude fiscale, moins de deux mois après l’entrée en vigueur du dispositif contesté.

Il rappelait à cette occasion que la part de la programmation des contrôles fiscaux issus du traitement informatique des données avait « plus que triplé par rapport à 2017 », en s’établissant à 22 % en 2019 contre 6 % deux ans plus tôt et que l’administration prévoyait d’augmenter cette proportion à 50 %. 

Répondant à la question d’un journaliste, le Ministre du Budget relativisait la « révolution » permise par ces nouvelles pratiques, en expliquant que : « Le datamining n’est pas fait pour faire le contrôle à la place des vérificateurs (…) Cela aide beaucoup les vérificateurs à mieux cibler ».

De fait, il est possible de relativiser l’impact de la montée en puissance de l’analyse informatique comme outil de lutte contre la fraude fiscale en rappelant que seule une part minoritaire des recouvrements sont liés à son utilisation et que les données informatiques traitées par l’administration fiscale doivent systématiquement faire l’objet d’une transmission à des agents « pour corroboration et enrichissement » comme le prévoit la loi et comme l’a rappelé le Conseil Constitutionnel.

Ces différents éclaircissements ne devraient toutefois pas nous empêcher de rester attentifs aux dispositions du décret d’application qui entrera en vigueur dans les prochains mois et aux conclusions du bilan intermédiaire d’application de la loi, qui sera dressé mi-2021, avant la fin de ce dispositif expérimental en 2023.

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