Note sur l'arrêt Cass Civ. 3 16 janvier 2020 - prescription de l'action récursoire entre constructeurs

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Note sur l'arrêt Cass Civ. 3 16 janvier 2020
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Cass. Civ. 3ème, 16 janvier 2020, n°18-25915

Le recours d'un constructeur contre un autre constructeur ou son sous-traitant relève des dispositions de l'article 2224 du code civil. Partant, il se prescrit par cinq ans à compter du jour où le premier a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.

Par un arrêt attendu du 16 janvier 2020 (Cass. Civ. 3ème, 16 janvier 2020, n°18-25915), la Troisième chambre civile de la Cour de cassation a tranché une interrogation que se posaient la doctrine et les praticiens quant au délai de prescription des actions récursoires entre constructeurs et/ou sous-traitants.

Le doute est né au lendemain de la loi du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile qui a introduit un article 1792-4-3 dans le Code civil rédigé comme suit :

« En dehors des actions régies par les articles 1792-3, 1792-4-1 et 1792-4-2, les actions en responsabilité dirigées contre les constructeurs désignés aux articles 1792 et 1792-1 et leurs sous-traitants se prescrivent par dix ans à compter de la réception des travaux. »

Les termes généraux utilisés ont conduit à s’interroger sur la portée de ce texte et son application aux actions récursoires entre constructeurs et/ou sous-traitants.

Certaines juridictions du fond ont, à cet égard, accepté d’appliquer les dispositions de l’article 1792-4-3 du Code civil en la matière et de juger que « la prescription court à compter de la réception des travaux » (CA Bordeaux, 27 mai 2016, n° 14/03032).  

C’est d’ailleurs en ce sens que l’arrêt d’appel entrepris a statué (Cour d'appel de Riom, du 5 mars 2018) avant d’être cassé.

Rappel des faits et de la procédure

Une société a entrepris la construction d’un immeuble, réceptionné le 23 décembre 1999.

Se plaignant de l'absence de dispositif d'évacuation des eaux pluviales sur la terrasse d'un appartement et de l'existence de traces sur certaines façades de l'immeuble, le syndicat des copropriétaires a assigné l’architecte, le carreleur et son assureur en référé-expertise.  

Après le dépôt du rapport d’expertise, le syndicat des copropriétaires a assigné l’architecte en indemnisation des dommages, qui a lui-même appelé en garantie le carreleur et son assureur.

La Cour d’Appel de Riom a déclaré prescrite l’action en garantie de l’architecte aux motifs que « selon l'article 1792-4-3 du code civil, la prescription de 10 ans à compter de la réception s'applique tant aux recours entre constructeurs fondés sur la responsabilité contractuelle qu'à ceux fondés sur la responsabilité délictuelle » et qu’en l’espèce la réception des travaux était intervenue plus de 10 ans avant la délivrance de l’assignation en garantie aux défendeurs.

L’architecte a formé un pourvoi en cassation.

 

La décision de la Cour

L’arrêt est cassé au motif que « le recours d'un constructeur contre un autre constructeur ou son sous-traitant relève des dispositions de l'article 2224 du code civil ; il se prescrit donc par cinq ans à compter du jour où le premier a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer »

Après avoir réitéré sa position sur le fondement de l’action offerte aux constructeurs - « une telle action, qui ne peut être fondée sur la garantie décennale, est de nature contractuelle si les constructeurs sont contractuellement liés et de nature quasi-délictuelle s'ils ne le sont pas » (Cass. Civ. 3e, 8 février 2012, pourvoi n° 11-11.417, Bull. 2012, III, n° 23) - la Troisième chambre civile a formellement refusé d’appliquer les dispositions de l’article 1792-4-3 du Code civil aux actions récursoires entre constructeurs et/ou sous-traitants au motif que « ce texte, créé par la loi du 17 juin 2008 et figurant dans une section du code civil relative aux devis et marchés et insérée dans un chapitre consacré aux contrats de louage d'ouvrage et d'industrie, n'a vocation à s'appliquer qu'aux actions en responsabilité dirigées par le maître de l'ouvrage contre les constructeurs ou leurs sous-traitants ; qu'en outre, fixer la date de réception comme point de départ du délai de prescription de l'action d'un constructeur contre un autre constructeur pourrait avoir pour effet de priver le premier, lorsqu'il est assigné par le maître de l'ouvrage en fin de délai d'épreuve, du droit d'accès à un juge ».

Ce faisant, elle confirme sa jurisprudence antérieure à l'entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008, par laquelle elle a jugé que le point de départ du délai de l'action d'un constructeur contre un autre constructeur n'est pas la date de réception de l'ouvrage (Cass. Civ 3e, 8 février 2012, pourvoi n° 11-11.417, Bull. 2012, III, n° 23).

Il ne lui restait plus alors qu’à préciser le point de départ du délai de la prescription quinquennale que la Cour de cassation fixe traditionnellement au jour de la délivrance de l’assignation au fond ou en référé-expertise par le maître de l’ouvrage (Cass. Civ. 3, 19 mai 2016, n° 15-11355 ; Cass, civ. 3, 2 juin 2015, n° 14-16.823).

Le constructeur dispose donc d’un délai de 5 ans à compter de sa mise en cause pour exercer une action récursoire, de nature contractuelle ou quasi-délictuelle, à l’encontre d’un autre constructeur et/ou d’un sous-traitant.

Cette décision, emprunte de pragmatisme, ne peut être que saluée en ce qu’elle chasse tout doute sur la prescription applicable aux actions récursoires entre constructeurs et/ou sous-traitants.

Auteur : Adrien Pelon

Avocat au Barreau de Paris

Chargé d’enseignement à l’université Paris II Panthéon-Assas

Formateur Francis Lefebvre Formation

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