Le nantissement de fonds de commerce

Publié le - Mise à jour le

Le nantissement de fonds de commerce
Voir toutes les actualités

Nantissement – La nullité d’un nantissement n’est plus invocable si la créance qu’il garantissait n’a pas été contestée à l’issue de la procédure d’admission.

Cour de cassation, Chambre commerciale économique et financière, 18 Mars 2020 – n° 18-11.675

 

L'autorité de la chose jugée attachée à la décision d'admission des créances par le juge-commissaire s'étend à la nature du privilège ou de la sûreté dont la créance est assortie et régularise en conséquence le défaut d’inscription d’un nantissement dans le délai légal, qui ne peut plus être invoqué pour demander sa nullité.

C’est l’enseignement que l’on peut tirer de la décision rendue par la chambre économique et financière de la Cour de Cassation le 18 mars 2020.

 

Faits et procédure.

En l’espèce, une société avait accordé un premier prêt d’une somme de 148 192,79 euros et un second prêt d’un montant de 30 489,80 euros à une société commerciale. Elle avait obtenu de cette dernière qu’elle inscrive deux nantissements garantissant sa créance sur le fonds de commerce qui était exploitée par l’emprunteuse dans un local commercial donné à bail par une autre société.

 

Ne se conformant pas aux exigences légales en la matière, la société créancière n’avait pas procédé à l’inscription du nantissement garantissant le second prêt dans les trente jours suivant la date de l'acte constitutif.

 

Le 5 mars 2008, le bailleur du local dans lequel était exploité le fonds avaient demandé la résiliation judiciaire du bail en question qu’il avait finalement obtenu sans en avoir informé préalablement le propriétaire du nantissement comme elle devait le faire.

 

Par la suite, la société débitrice était mise en liquidation judiciaire alors qu’elle n’avait pas pu rembourser le prêt qu’elle avait obtenu auprès de la société créancière.

 

En conséquence, la société créancière, qui avait perdu le bénéfice des deux nantissements depuis la résiliation judiciaire du bail avait formé une action en justice pour obtenir de l’anciens bailleur résiliataire la réparation intégrale d’un préjudice économique liées à la « perte de chance de recouvrer sa créance »

 

Cette action en responsabilité était justifiée par l’existence d’une faute de la part du bailleur, qui n’avait pas respecté l’obligation de prévention impérative prévue par l’article L143-2 du Code de Commerce, qui dispose que : « Le propriétaire qui poursuit la résiliation du bail de l'immeuble dans lequel s'exploite un fonds de commerce grevé d'inscriptions doit notifier sa demande aux créanciers antérieurement inscrits, au domicile élu par eux dans leurs inscriptions. »

 

Le 7 décembre 2017, la Cour d’Appel de Metz avait reconnu l’existence d’un préjudice économique et d’une faute des bailleurs lié à l’absence d’exécution par ces derniers de leur obligation de prévention, mais les juges refusaient de reconnaître l’existence d’un préjudice moral et considéraient qu’aucun préjudice indemnisable ne pouvait être retenu s’agissant du nantissement relatif au prêt de 30 489 euros, dès lors que ce dernier n’avait pas été inscrit à temps.

 

Prenant en compte le fait que les locaux étaient dans un très mauvais état au moment où la nouvelle occupante du bail commercial avait repris son exploitation, les juges de la Cour d’Appel n’avaient retenu l’existence que d’une perte de chance symbolique de recouvrir la créance (fixé à un montant de 1% de la créance assurée) et avaient par ailleurs alloué à la société créancière une pénalité de retard conventionnelle d’un montant de 1% de la créance.

 

Contestant la décision rendue par la Cour d’Appel au motif que les évaluations du préjudice étaient bien trop faibles et que le préjudice moral aurait dû être caractérisé, le demandeur formait un pourvoi en Cassation dans lesquels il critiquait les motifs invoqués et les solutions retenues par les juges du fond au moyen de deux principaux arguments.

 

  • Le premier moyen, décomposée en quatre branches, était fondé sur l’affirmation récurrente selon laquelle « la décision du juge-commissaire d’admettre une créance est opposable à tous ». S’appuyant sur cette affirmation, le demandeur faisait valoir qu’en refusant d’admettre l’opposabilité de la décision d’admission à la société propriétaire du bail au motif que cette dernière n’était pas partie à la procédure collective et n’était pas tenue des garanties apportées, les juges de la Cour d’Appel avait violé l’ancien article 1351 du Code Civil (devenu 1355). Le demandeur faisait également valoir que le bailleur n’avait pas qualité pour se prévaloir de la nullité du dit acte valablement admis, dès lors qu’il n’en avait pas d’intérêt légitime et que le bailleur ne pouvait pas soulever devant le créancier la nullité du nantissement par voie d’exception dès lors qu’aucune inexécution ne pouvait lui être reprochée.

 

  • Dans son second moyen, le demandeur faisait valoir que le préjudice occasionné par la perte de nantissement découlant d’une demande de résiliation du bailleur non notifiée au bénéficiaire de l’inscription avait été sous-évalué par les juges de la Cour d’Appel.

 

La reconnaissance de l’autorité étendue des décisions d’admission de créance.

La réponse apportée par la Cour de Cassation dans cette décision est inédite et apporte des précisions importantes en ce qui concerne la valeur des décisions d’admission de créance.

 

Il convient à cet effet de rappeler qu’une décision d’admission de créance est celle par laquelle, dans une procédure de sauvegarde, de redressement ou de liquidation judiciaire, le juge-commissaire, statuant au vu des propositions du mandataire judiciaire, admet l'existence et le montant d'une créance régulièrement déclarée.

 

Après avoir examiné les arguments développées par le demandeur dans son premier moyen, la Cour de Cassation casse la solution de la Cour d’Appel au moyen d’un attendu de principe par lequel elle affirme que « l’autorité de la chose jugée attachée à la décision d’admission des créances par le juge commissaire s’étendant à la nature du privilège ou de la sûreté dont la créance est assortie, le bailleur qui, en s’abstenant d’exercer le recours prévu par la loi, a laissé l’admission à titre privilégié devenir irrévocable à son égard, ne peut plus invoquer, sur le fondement d’une cause antérieure à la décision d’admission, la nullité du nantissement du fonds de commerce pris par le créancier du preneur. 

 

Cet attendu de principe, sous la forme d’une phrase à rallonge n’est pas forcément évident à appréhender dans son ensemble en première lecture, mais il apporte des enseignements importants et une réponse claire sur l’essentiel des points soulevés.

 

En effet, la Cour de Cassation était ici devant un dilemme important puisque la décision d’admission des créances avait validé l’existence d’une créance grevée d’un nantissement dont il était possible de demander la nullité.

 

Or, une décision d’admission de créance n’est pas censée être contestable et est censé valider à la fois la créance et les sûretés qui lui sont grevés.

 

D’un autre côté, la nullité d’un acte, lorsqu’elle découle d’un texte de loi, doit normalement pouvoir être invoquée par les personnes concernées pendant toute la durée de prescription légale. Or, ce délai de prescription ne s’était pas écoulé au moment où les juges devaient rendre leur décision.

 

C’est pour cette raison que dans l’attendu de principe, les juges ne remettent pas en cause la nullité de l’acte de nantissement, mais contestent seulement la possibilité pour le bailleur de l’invoquer après que l’admission de créance soit devenue irrévocable.

 

Cette impossibilité pour le bailleur d’invoquer la nullité incontestable de l’acte de nantissement était fondée selon la Cour sur le fait que celui-ci se soit abstenu « d’exercer le recours prévu par la loi » et a ainsi « laissé l’admission à titre privilégié devenir irrévocable à son égard ».

 

Ainsi, l’abstention du bailleur d’exercer les recours qui s’offraient à lui pendant la durée qui lui était imparti a eu pour conséquence de rendre l’admission irrévocable à son égard. Cette solution est intéressante, puisqu’elle ne donne pas à l’admission un caractère irrévocable, qui n’est acquis qu’à l’issu de l’écoulement sans réclamation des délais de recours prévus par la loi.

 

 

Une décision justifiée par le caractère irrévocable de la décision d’admission

Cette solution est ainsi liée à la nature toute particulière des décisions d'admission des créances, qui après avoir été prononcées par le juge-commissaire font l’objet d’une longue procédure de publicité qui laisse place aux éventuelles contestations et à l’issue de laquelle l’admission acquiert un caractère incontestable.

 

Il convient à ce titre de rappeler qu’une fois prononcée, les décisions d’admission sont portées par le greffier sur une liste de créances, qui est complétée d’un certains nombres de relevés pour constituer l'état des créances, avant d’être déposé au greffe du tribunal où toute personne peut en prendre connaissance. Ensuite, le greffier fait publier au Bulletin officiel des annonces civiles et commerciales (BODACC) une insertion indiquant ce dépôt et le délai pour faire réclamation.

 

Par la suite, des recours contre les décisions du juge-commissaire peuvent être formé devant la cour d'appel et « toute personne intéressée » à ensuite un mois pour former sa réclamation dès la publication de l'insertion au BODACC.

 

Enfin, la créance est définitivement admise à la suite d'une décision du juge-commissaire statuant en dernier ressort ou d'une décision de justice ayant abouti à la constatation et à la fixation de la créance.

 

De fait, au-delà des parties à un contrat de nantissement, l’ensemble des personnes intéressées sont susceptibles d’agir en nullité contre les actes admis et les sûretés qui y sont inscrits et peuvent difficilement faire valoir qu’ils n’ont pas été mis au courant de l’existence de l’acte. C’est ce qui justifie que l’exigence d’écoulement complet du délai de prescription soit remise en cause.

 

La remise en cause du délai de prescription en la matière n’est pas nouvelle. M. Bonnet, avocat à la Cour de Cassation avait eu l’occasion d’affirmer dans un avis rendu pour l’arrêt n°576 du 10 avril 2009 que « l’admission de la créance et l’autorité de chose jugée qui y est attachée comme à toute décision de justice a un effet interversif de prescription. »

 

L’avocat à la Cour citait à l’appui de cette argumentation une solution rendue par les juges de Cassation avant l’uniformisation des délais de prescription, par laquelle ces dernier jugeaient que : « lorsque le créancier est admis au passif de la liquidation des biens, la prescription trentenaire résultant de l’ordonnance du juge-commissaire portant admission de la créance se substitue à la prescription décennale » (Com., 7 juin 2005, pourvoi n°04-13.849 ) ;

 

Dans une décision rendue à propos d’un cautionnement accordée en garantie d’un prêt (Com.,15 octobre 2002, pourvoi n° 99-14.394), les juges de la Cour de Cassation avaient ainsi également pu affirmer que : « la décision d'admission de la créance, devenue irrévocable, est opposable à la caution tant en ce qui concerne l'existence et le montant de la créance que la substitution de la prescription trentenaire à la prescription originaire ».

 

Certes, dans la situation jugée, la Cour de Cassation n’a pas élargi la durée de validité de la créance à travers l’interversion du délai légal de prescription qui lui était applicable et a étendu son caractère irrévocable « à la nature du privilège ou de la sûreté dont la créance est assortie », mais cette solution apparaît logique car elle est elle-même fondé sur le caractère accessoire des nantissements, à l’instar des cautions ou gages.

Reste à savoir si la réforme du droit des sûretés apportera ou non des précisions permettant de codifier une partie de ces pratiques et de consacrer la valeur accessoire des garanties des sûretés.

Pour en savoir plus :

 

Formations qui pourraient vous intéresser

tealium