La réforme du droit des contrats : vers une fragilisation des relations d’affaires ?

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Le 25 février dernier, la Chancellerie a publié l’avant-projet d’ordonnance portant réforme du droit des contrats, du régime et de la preuve des obligations. Il fait aujourd’hui l’objet d’une consultation publique et ce, jusqu’au 30 avril 2015.

La réforme des contrats, un processus de longue haleine
Cela fait près de dix ans que le projet de réforme du droit des contrats du Code napoléonien est envisagé.
 
Deux rapports avaient été rédigés, le premier par le Pr Pierre Catala en 2005 (avant-projet de réforme du droit des obligations, Articles 1101 à 1386 du Code civil, et du droit de la prescription, Articles 2234 à 2281 du Code civil, publié le 22 septembre 2005) et plus récemment, le second par le Pr François Terré (« Pour une réforme du droit de la responsabilité civile », Février 2012). Ces derniers n’avaient pourtant jamais dépassé la phase de consultation par le Ministère de la justice…
 
Portée par la Garde des Sceaux, Christiane Taubira, la réforme semble enfin amorcée. En effet, le 16 février 2015, passant avec succès le contrôle de constitutionnalité, a été adoptée la loi habilitant le gouvernement à réformer le droit des contrats par voie d’ordonnance (art. 8, loi du 16 février 2015, dite « de modernisation et de simplification du droit et des procédures dans les domaines de la justice et des affaires intérieures »). Le gouvernement s’est engagé à mener cette réforme dans un délai de 12 mois pour une ratification au cours du premier semestre 2016.
 
Vers un droit plus accessible pour les co-contractants et plus contraignant pour les entreprises 
Concernant pas moins de 300 articles du Code civil, la réforme vise avant tout à moderniser ce droit resté quasiment inchangé depuis le régime napoléonien. Elle a pour objectif de le rendre plus accessible et plus lisible pour les co-contractants.
 
Retranscrivant la jurisprudence de ces dernières années (Chronopost, Manoukian), supprimant des notions, sujets à controverses ou encore précisant des définitions, il sera dorénavant possible, en théorie, de comprendre le droit des contrats à la simple lecture du Code.
 
La réforme des contrats, une limitation de la liberté contractuelle de l’entreprise 
« Chacun est libre de contracter ou de ne pas contracter, de choisir son cocontractant et de déterminer le contenu et la forme du contrat dans les limites fixées par la loi ». Par ce nouvel article 1102 du Code civil, l’ordonnance s’attache visiblement à rappeler un principe fondamental du droit des contrats : la liberté contractuelle.
 
Le projet Taubira prévoit, qu’en cas de clause créant un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat, le juge aura le pouvoir de la supprimer, à la demande du contractant au détriment duquel elle aura été stipulée (nouvel art. 1169 C. civ.).
 
Outre un pouvoir considérable accordé au juge, le Code met en place une réelle insécurité juridique pour les entreprises. Cette notion même de déséquilibre significatif, très large, permettra au juge d’interpréter la clause comme abusive.
 
Déjà connues du Code de commerce pour les relations entre professionnels et non-professionnels, ces clauses abusives se voient aujourd’hui étendues au régime général du droit des contrats. Toutes les conventions pourront donc faire l’objet d’une remise en cause, même celles conclues sur un pied d’égalité entre professionnels,  ou encore celles conclues de bonne foi.
 
A noter également, l’ordonnance consacre la jurisprudence Chronopost (Com. 22 oct. 1996, n° 93-18.632, Bull. civ. IV, n°261) dans un article 1168 du Code civil. Toute clause privant de sa substance l'obligation essentielle du débiteur est aujourd’hui légalement réputée non écrite.
 
L’insécurité juridique se voit donc effectivement renforcée et la liberté contractuelle évidemment encadrée.
 
La réforme des contrats, une fragilisation des relations contractuelles de l’entreprise 
Le nouveau Code civil vient ainsi encadrer la phase précontractuelle. Codifiant la jurisprudence Manoukian (Com. 26 nov. 2003, n° 00-10.243 et 00-10.949), la réforme met à la charge des négociateurs une responsabilité extracontractuelle en cas de rupture abusive des pourparlers susceptible de permettre l’octroi de dommages et intérêts, ces derniers ne pouvant tout de même pas avoir pour objet de compenser la perte des bénéfices attendus du contrat non conclu (nouvel art. 1111 C. civ.). Par ailleurs, elle instaure également un devoir d’information du futur co-contractant pouvant constituer un vice du consentement et ce, dès la phase des négociations (nouvel art. 1129 C. civ.).
 
Ainsi, se dessinent des opportunités de contentieux dès les négociations, l’encadrement strict ne permettant qu’une marge de manœuvre limitée à l’entreprise. 
 
Pour ce qui est de la formation du contrat, un nouveau vice du consentement a été reconnu. Il s’agit de la violence économique, ou encore, de l’abus de dépendance. Ce dernier permettra la nullité du contrat dès lors qu’une partie abuse de sa position pour obtenir un engagement auquel l’autre partie n’aurait pas souscrit si elle ne s’était pas trouvée dans une situation de faiblesse (nouvel art. 1142 C. civ.).
 
Autre nouveauté de la réforme : la reconnaissance de la théorie de l’imprévision. Contrairement à ce que soutenait la jurisprudence (Cass. Civ. 6 mars 1876, Canal de Craponne), il sera reconnu au juge le pouvoir de procéder à l’adaptation de tout ou partie du contrat, à la demande des parties ou bien d’y mettre définitivement fin, à la demande d’une seule partie dès lors que des circonstances imprévisibles rendent l’exécution excessivement onéreuse pour un des co-contractants qui n’a pas accepté d’en assumer le risque (nouvel art. 1196 C. civ.).
 
En conséquence, il sera possible de mettre fin au contrat dès lors que ce dernier n’est plus rentable pour un des acteurs de la relation commerciale. Cette nouvelle cause de fragilisation des relations contractuelles vient ainsi amoindrir l’aléa des affaires, certes, mais au bénéfice d’une plus grande insécurité juridique.
 
L’exécution même du contrat est également impactée par la réforme du droit des obligations. En effet, il est reconnu au créancier, en cas d’exécution imparfaite, la possibilité de réduire proportionnellement le prix (nouvel art. 1223 C. civ.). Par ailleurs, le juge (encore lui) aura également le pouvoir de réviser le prix abusivement fixé. Cette appréciation se fera au regard « des usages, des prix du marché ou des attentes légitimes des parties », soit en l’occurrence de larges critères laissant place à une marge de manœuvre importante pour les magistrats du fond.
 
La réforme des contrats, une perte d’attractivité du droit français ? 
L’ordonnance, sous couvert d’une plus grande protection, donne à la bonne foi une place prédominante dans les relations contractuelles.
 
Il est probable que les entreprises préfèrent les droits étrangers pour l’organisation de leurs relations contractuelles d’affaires. Le risque étant, in fine, la perte d’attractivité du marché économique français.
 
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