Âgisme au travail : enjeux pour les entreprises et bonnes pratiques à mettre en place - Entretien avec Mélissa-Asli Petit

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Penser l’emploi des seniors aujourd’hui, c’est s’interroger sur le travail de demain.

Souvent cloisonné, parfois réfractaire à la différence, le monde du travail a tendance à évincer certains profils. Parmi eux, les seniors, victimes de nombreuses discriminations. Passé 50 ans, il peut ainsi être difficile de trouver un emploi, de progresser au sein d’une entreprise ou de se reconvertir. Mais comment ont évolué ces discriminations ces dernières années et de quelle façon s’expliquent-elles ? Comment les entreprises peuvent-elle se saisir du sujet ? Décryptage avec Mélissa-Asli Petit, docteure en sociologie sur la silver économie et fondatrice de Mixing Générations.

Dans le cadre de vos travaux de recherche, quels sont les constats que vous avez pu faire quant à l’intégration des seniors dans le monde du travail ces dernières années ?

Le taux d’emploi des 55-64 ans a augmenté ces dernières années : de 37 % en 2003, il est passé à 56 % en 2021. Malgré cela, le chômage de longue durée ne disparaît pas : le temps passé au chômage est deux fois plus élevé à partir de 50 ans.

Les seniors souffrent de nombreuses représentations sociales : ils coûteraient trop chers, seraient résistants au changement, auraient du mal à s’adapter aux nouvelles technologies… Et tous les secteurs d’activité sont marqués par ces discriminations. Pour certains emplois, dont les conditions de travail sont difficiles, se pose également la question de l’épuisement professionnel – qui ne dépend par ailleurs pas de l’âge, mais de la santé de la personne.

Dans quelle mesure ces discriminations sont-elles également liées à des inégalités de genre ?

Pour les femmes, jeunisme et sexisme s’ajoutent aux représentations sociales que nous venons d’évoquer. Le rapport au corps peut entrer dans la balance, notamment pour certains secteurs, comme celui du cinéma, par exemple. En outre, certaines problématiques de santé, comme la ménopause, ne sont pas adressées correctement dans le monde du travail. Sujet encore tabou en France, celle-ci peut être perçue en entreprise comme un élément freinant le développement.

Et puis, le poids des carrières heurtées des femmes est indéniable ! La maternité, par exemple, ou le rôle d’aidant, souvent portée par les femmes, et qui arrive à ce moment-là de la vie. Les entreprises oublient parfois de voir les compétences derrière les aléas du CV….

Nous constatons également qu’en fin de carrière, elles réalisent plus souvent des CDD ou du temps partiel. Dans le monde flexible dans lequel nous évoluons, ce sont des situations qui peuvent convenir, lorsqu’elles sont choisies, mais pas lorsqu’elles sont subies.

Comment expliquer ces discriminations ?

Il y a eu une vague de préretraites massive dans les années 1970, proposée alors à partir de 55 ans. Il s’agissait d’un dispositif qui ne permettait pas de continuer à travailler, et qui a également été pensé avec l’embauche de plus jeunes pour compenser le départ des seniors. Ce système a participé à construire un imaginaire collectif dans lequel le senior n’est plus utile à la société.

Puis, l’âge du départ à la retraite a été baissé, et la possibilité de continuer à travailler pendant sa retraite, d’abord très libre, a été encadrée par de nombreuses conditions, créant un véritable poids sur le travail des seniors. Et nous ne sommes jamais sortis de cette construction sociale.

Pour les entreprises, quelles sont les conséquences de ces discriminations ?

La première conséquence à laquelle s’exposent les entreprises : le désengagement des travailleurs. Nous avons tellement banalisé ces comportements que, parfois, les collaborateurs sont amenés à se projeter avec impatience vers leur retraite. Se passer d’une partie de la population revient également à refuser la richesse des équipes multigénérationnelles. Nous le savons, la diversité crée de la richesse et de l’innovation, pourquoi s’en priver ?

En outre, certains secteurs, comme l’industrie, ont besoin de connaissances précises, qui quittent l’entreprise avec le collaborateur. Si le départ de ce vivier de savoir n’est pas correctement accompagné, il s’agit d’une vraie perte pour l’entreprise – et, plus largement, pour l’appareil productif français.

Enfin, mettre à l’écart les seniors dans le monde du travail revient à les écarter des réflexions stratégiques, ce qui favorise la reproduction de ces biais... Ne pas embaucher des seniors a donc des conséquences directes sur l’individu, sur l’entreprise, ainsi que sur l’économie générale.

Quelles sont les bonnes pratiques qui peuvent être mises en place par les entreprises pour mieux intégrer les seniors ?

Les organisations doivent tout d’abord opérer un diagnostic de leur situation. Comment est gérée la carrière tout au long du parcours de vie, quels sont les besoins de collaborateurs ? Existe-t-il une feuille de route sur l’emploi des seniors ? Être conscient de ce qui se joue dans l’entreprise permet ensuite de proposer les solutions appropriées. 

Pour les entreprises, l’enjeu est de mieux prendre en compte les parcours de vie et d’accompagner de manière flexible l’individu. Elles peuvent par exemple mettre en place des formations, des ateliers, du mentorat… Penser l’emploi des seniors aujourd’hui, c’est s’interroger sur le travail de demain, dont nous parlons beaucoup, et dans lequel nous occultons encore toute cette partie de la population.

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